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Penser multiple pour un monde vivant

par Sylvie Pouteau, présidente de PEUV décembre 2010, paru dans la revue Politis

L’idée de fonder une « Université du vivant » est née d’une convergence de plusieurs organisations, qui soutiennent le secteur de l’agriculture biologique et de sa filière, autour de valeurs liées à la protection de l’environnement, de la santé, et du partage des connaissances et des richesses. Le constat est qu’il ne suffit pas de lutter contre divers maux, il faut aussi sortir de la logique du système de pensée qui les a produits et se donner les moyens d’inventer des alternatives en créant un réseau de savoirs et de recherches dédié au « respect du vivant ».

Chacun sait que l’agriculture biologique ne se résume pas à un itinéraire technique pour produire de la nourriture. A travers l’agriculture biologique, c’est depuis l’origine un véritable projet de civilisation qui se joue autour du vivant : celui d’une « vitalisation » du monde. Il est temps de rappeler cet enjeu à l’heure où le souci du vivant prend de l’ampleur et où la bio focalise de plus en plus d’intérêts commerciaux. Mais que sait-on du vivant ? Que peut-on pour le vivant ? Comment « vitaliser » le monde ?

Aujourd’hui, la science s’établit dans un rapport asymétrique de domination et de soumission. L’expérimentation réductionniste est en effet une situation de non-dialogue : le vivant (quel qu’il soit, humain ou non-humain) est sommé de répondre à des questions qu’il n’a pas choisies. C’est une asymétrie irréversible et aucun débat ne peut restaurer a posteriori la parité. Cela signifie notamment qu’avec ce type d’approche, aucune norme ne peut être établie avec l’accord du vivant. Pour redonner la parole au vivant, il est nécessaire de remonter à la racine du questionnement : il s’agit de poser les questions avec, et non plus sur, le vivant. Pour « vitaliser » le monde, il faut donc repenser les sciences du vivant, sonder en profondeur les connaissances que nous croyons détenir et explorer de nouveaux modes d’expérience et d’interaction avec le vivant.

L’ « Université du vivant », c’est le nom donné à ce projet de renouvellement. Le terme vivant ne renvoie pas à une chose qu’on pourrait classer à côté des montagnes et des étoiles, mais englobe un ensemble de processus qui touche finalement tout ce qui existe. Cet ensemble comprend bien sûr les êtres vivants eux-mêmes, mais aussi tous leurs prolongements, leurs interactions, leurs initiatives aussi bien dans la nature que dans les sociétés. Le terme université quant à lui ne désigne pas un lieu d’érudition avec une organisation verticale de la connaissance, ni une infrastructure avec tous ses laboratoires et ses équipements. Il est à prendre au sens originel d’universalité, celui d’un espace de rencontre, d’échange et de débat ouvert à tous pour confronter, et féconder, des idées, des savoirs, des expériences. Au sens non pas d’un idéal d’universalité univoque, mais d’un pluralisme fondé dans la diversité et la multiplicité des points de vue et des modes d’expression.

Certains pourraient trouver l’entreprise démesurée, vague ou simplement utopique. Mais en réalité, si ses objectifs structurels sont encore imprécis, c’est parce qu’il faut avant tout « coller » au vivant, c’est-à-dire rechercher des processus d’émergence qui soient organiques et non dictés par une théorie « d’en haut ». Il n’y a pas de modèle d’université du vivant : l’enjeu est de partir de la réalité des besoins et de construire à partir de la réalité des situations et des rencontres. Il faut donc accepter le questionnement, l’hésitation, la non-linéarité, le temps.

Aujourd’hui après seulement deux ans d’existence, l’association Pour l’Emergence d’une Université du Vivant (PEUV) a déjà permis de mettre en place plusieurs actions grâce au soutien financier de la Fondation pour le Progrès de l’Homme : la création d’un site internet encore en cours de développement, l’expérimentation du débat multiculturel avec l’organisation d’un séminaire de travail sur la relation Homme-Plante en 2009, la mise en réseau et la mutualisation de rencontres organisées sur différents thèmes par des organisations partenaires et la coordination d’une collection de livrets de synthèse en 2010-2011.

Les rencontres sont la matière vive du projet, ce sont elles qui permettent de donner la parole au vivant, de l’écouter et d’en tirer les orientations d’action, de réflexion, de rencontre, de recherche, de communication. L’année qui vient sera fertile en événements, elle devrait ainsi permettre d’esquisser les premiers contours de l’ « Université du vivant », dont la fondation est envisagée à l’horizon 2013.

Sylvie Pouteau